mercredi 26 septembre 2012

Compte-rendu de la seconde édition d’OVEI

OVEI, seconde édition

Dans la suite de la première édition, j’ai été invité à participer à OVEI2. Rappel : l’objectif d’OVEI est de permettre la rencontre informelle entre des élus, hauts responsables d’administrations, et experts techniques de la vie civile.

Arrivée des participants

Cette seconde édition d’OVEI avait lieu au Palais d’Iéna qui accueille le Conseil économique, social et environnemental, un soir en semaine, avec un format plus cadré que la fois précédente puisque trois ateliers étaient proposés après une session plénière. J'ai participé au premier qui traitait des questions de souveraineté et de gouvernance sur internet.

Il y avait environ une centaine de participants, avec des proportions égales de geeks et de politiques. La presse spécialisée était également cette fois plus présente, la presse généraliste représentée indirectement.

Discours d'ouverture

Jean-Paul Develoye, président du CESE :

  • c'est la crise. Saura-t'on faire évoluer les structures — et surtout les gens — pour s'adapter ?
  • difficulté au changement : problème culturel français
  • jusqu'où aller dans l'ouverture et la transparence ?
  • internet est encore décrit comme « l'aventure »
  • retour sur l'expérience d'évolution du CESE : email remplace papier, livetweet des séances, streaming vidéo. Fait peur au début, mais une fois apprivoisé est très stimulant
  • la France est un pays qui — curieusement — a peur de l'innovation
  • nécessité de la prise de contrôle par les citoyens de l'espace politique pour construire les projets de société
  • les élus et les institutions sont les responsables du status quo politique en France/ Besoin de rouvrir les camps pour les faire bouger
  • les gens sont connectés (à internet) mais déconnectés (de la politique) : ça parle mais ça ne s'implique pas

Laure de La Raudière, députée :

  • but d'OVEI : assurer un dialogue entre les geeks (qui connaissent et font internet) et les politiques (qui représentent les citoyens et leurs intérêts) sans lobbies
  • il n'y a pas de questions naïves
  • il faut comprendre le fonctionnement d'internet pour pouvoir légiférer correctement à son sujet

Benjamin Bayart, président de FDN :

  • il y a toujours un intérêt à mieux se connaître et à mieux se comprendre. Qui ça concerne ? Le monde d'internet et le monde politique
  • difficulté d'expliquer l'importance du net aux personnes qui ne le comprennent pas
  • importance de dénoncer les absurdité de la législation faite par des gens ne comprenant pas internet : droit à l'oubli, filtrage de contenus, zone de non-droit, etc.
  • la notion clé est la peur : c'est sur internet donc c'est grave/dangereux car incontrôlable
  • c'est la société qui a choisi d'utiliser internet pour réaliser son changement (technologie adaptée au bon moment), ce n'est pas internet qui change la société
  • aberration du droit à l'oubli : une fois que c'est publié sur internet, on ne peut pas forcer les gens à oublier ou à ne pas lire. Les archives sont la mémoire : on ne doit pas imposer des lobotomies; ouverture sur des dérives ultérieures de réécriture du passé

Atelier 1 : Gouvernance d'internet et souveraineté

Quinze personnes, dont six filles et zéro chat

Participants à l'atelier Souveraineté nationale et trans-frontalité d’internet d'OVEI2
  • Tour de table : chercheurs, entrepreneurs, institutionnels, direction ICANN, bidouilleurs de l'hébergement, journaliste, attachés parlementaires, hacktivistes du net
  • Problématique de la gouvernance d'internet en France : pas de responsable clairement désigné pour coordonner. Cas d'ACTA : pas de ministère initialement en charge (culture, extérieur, industrie, etc, qui bottent en touche). Réaction des citoyens qui ont pointé du doigt les délégués français, et qui leur ont demandé de rendre des comptes
  • Difficulté : pas de représentant des internautes en France, comme Chirac était le représentant des agriculteurs. Pas d'incarnation du net.
  • La culture diplomatique française est de signer des accords puis de négocier des exceptions. Problème : pas réaliste dans le cadre d'internet
  • Le politique n'a rien à gagner dans le net, donc ne s'investit pas → donc les lobbies industriels prennent le contrôle
  • Des politiques ont le réflexe d'un (supposé) pilotage du net par poussage de boutons : couper les DNS, filtrer les paquets, etc
  • Les plate-formes deviennent des territoires : dans Facebook on respecte la loi de Facebook, sur les services et serveurs Google on respecte la loi de Google. Glissement de la notion de souveraineté vers des espaces dirigés par le privé et non plus par les états.
  • Exposition des problèmes sur la souveraineté des nations sur le net
  • Pour l'ICANN : le problème n'est pas tant le poids du gouvernement US que celui du droit californien
  • La gouvernance sur internet est moins un problème de droit qu'un problème d'influence : comment obliger les autres à respecter notre volonté ?
  • Au final, on a le contrôle uniquement sur ses équipements physiques nationaux

Notes sur l’atelier « Atelier gouvernance et souveraineté »

  • très fortes discussions sur l'ICANN, son rôle (et sa supposée justification), et les acteurs qui l'influencent
  • les représentants de l'ICANN défendent farouchement leur bifteck… et son existence
  • discussion uniquement techniques entre geeks, les politiques restent en retrait. Pas sûr qu'ils aient retenu (compris ?) ce qui a été dit dans les discussions
  • durée trop courte de l'atelier
  • l'atelier aurait du être nommé « l'ICANN », ou mieux « Pour Nicolas Arpagian l'ICANN est un organisme de centralisation du net sous la trop grande influence des USA ». Là au moins on aurait compris ce qui allait être rabâché durant une heure…
  • les tentatives d'aborder un autre angle des problématiques ont toutes été torpillées pour revenir de force sur la question de l'ICANN : systèmes anationaux ou transnationaux (Freenet, TOR…), racines alternatives du DNS, systèmes parallèles et réorganisations, etc. Rien à faire : il fallait absolument parler de l'ICANN et du gouvernement américain ; très gênant car la thématique de l'atelier n'a été abordée qu'avec un angle unique, celui des institutionnels qui veulent une gouvernance forte et centralisée permettant — hypothétiquement — d'appliquer une contrôle strict sur internet. Cette centralisation étant alors contraire aux fondements technologiques d'internet, cela pose problème.

Notes sur OVEI2

Le palais d’Iéna est un bâtiment un peu étrange, avec des allures d’ancien habillé d’une décoration contemporaine. L’impression qui s’en dégage est celle des hôtels internationaux : consensuel, neutre et immémoriale. On ne retient pas son existence. Peut-être est-ce voulu pour encourager l’attention à se porter sur le travail ? Mais ça laisse un goût de fade en bouche

Cette seconde édition d’OVEI est une demi-réussite. Les geeks ont bien sûr répondu présents sans hésiter, mais si la participation des élus était légèrement en hausse elle était bien en deçà de ce que l’on pouvait espérer. Même avec une organisation en semaine en plein Paris — contrairement à l’hippodrome de Rambouillet un dimanche — les politiques ont été peu nombreux à faire le déplacement. Il y en avait des déjà sensibles aux questions du numériques — directement présents ou via leur assistant — mais les principales personnes qui auraient gagné à s'intéresser à internet n'ont pas fait l'effort du déplacement malgré tout le poids institutionnel donné à l'événement.

Les ateliers apportent un gros plus pour la stimulation des discussions, mais peuvent encore être améliorés : ils étaient trop courts, pas assez cadrés thématiquement, et avec une faible préparation des participants. Un de leurs inconvénients est de fortement segmenter les discussions ; on perd la sérendipité du rassemblement de personnes aux profiles très variés, qui discutent spontanément sur des sujets libres. Le buffet final permet de rattraper cela, mais gagnerait à être introduit par une courte synthèse des ateliers afin de favoriser le brassage pour que les groupes se mélangent au lieu de poursuivre des discussions précédentes.

La prochaine étape ? L'organisation d'un « OVEI à Lyon » !

Ressources

dimanche 24 juillet 2011

Compte-rendu de la première édition d’OVEI

OVEI ?

J’ai été invité à participer à la première édition d’OVEI, organisée par Bruno Spiquel (expert technique à la HADOPI et entrepreneur) et Laure de La Raudière (députée). L’objectif d’OVEI est de permettre la rencontre informelle entre des élus, hauts responsables d’administrations, et experts techniques de la vie civile. Étaient présentes 59 personnes autour d’un barbecue fédérateur.

J’emploi ici les termes « geeks » et « politiques » pour coller à la terminologie choisie par OVEI. Il serait plus correct de parler d’élus, d’administrateurs, de développeurs, de magistrats, de sysadmins, de chercheurs, etc. Mais faisons simple.

Je suis donc parti de Lyon de bon matin, accompagné de Romain Rivière venant de Genève, pour passer le weekend à Rambouillet. Hasard des choses, nous avons ramassé dans le TER deux « geeks » (en opposition à « politiques » pour cette journée de rencontre) et fini le trajet dans le tank étiqueté de Spyou.

OVEI, en pratique

Lancement de la journée par trois interventions sur :

  • l’évolution des moyens de partage des savoirs au travers de l’histoire, et les révolutions de société que cela à engendré;
  • internet et sa résilience face aux pannes et à la division, avec en perspective de l’autonomie;
  • le droit de réponse, puis le droit au secret dans les affaires publiques.

Discussion sur les questions de droit au secret dans les affaires publiques.

Discours d'ouverture d'OVEI

Discussion à propos du droit de réponse sur internet :

  • problème de la législation française dans un internet structurellement transnational
  • pertinence de la législation actuelle :
    • internet autorise la publication personnelle sans restriction ni filtrage, contrairement aux médias unidirectionnels tels que la presse papier et la télévision où la publication est liée à l’acceptation par un directeur des contenus éditoriaux
    • la publication peut être réalisée via des outils décentralisés ou qui ne permettent techniquement pas d’y associer une publication tierce[1]; comment alors gérer un droit de réponse obligatoire ?
  • introduction de la notion de « même médium » pour appliquer le droit de réponse : publication sur un « espace de communication » → réponse au même endroit. Problème de la définition d’ « endroit » (mashup de données externes) et de mise en pratique.

Ma réflexion actuelle est que le droit de réponse, défini initialement par la loi de 1881, n’est pas adapté à internet qui a une approche multidirectionnelle sans barrières. Là où la loi originale permettait à une personne de bénéficier d’une garanti de prise de parole « juste » quand elle était nominalement concernée, internet met sur un pied d’égalité chacun en lui permettant de s’exprimer; cet aspect du droit de réponse perd alors son sens.

En revanche, internet introduit possiblement une différence sur l’exposition : certaines publications ont plus de visibilité que d’autres; comment alors garantir à un droit de réponse une diffusion semblable à la publication originale, sachant qu’on ne peut pas obliger les gens à consulter une ressource[2]. Tiens, d’ailleurs si l’auteur était anonyme ou que la publication avait lieu hors de la juridiction française, on ferait quoi ?

Discussion sur le grand banditisme sur internet :

  • montée en puissance de l’argent liquide numérique anonyme (bitcoin, carte VISA prépayée)
  • problème de l’insuffisance des compétences chez les enquêteurs et les juges face à l’évolution des technologies et des pratiques.
  • partage d’anecdotes sur la rencontre informaticien + numérique + police.

Discussion sur le TLD rebelle et autogéré .42 : intérêts, approches techniques et sociales, conséquences. Pourquoi le faire au juste ? Parce qu’internet permet cette liberté, et en protestation à la politique de gestion de l’ICANN.

Discussion sur la nature et l’approche politique du Parti Pirate. Comparaison avec les Verts à leurs débuts (d’abord en opposition en Allemagne sur les missiles nucléaires, puis conception d’un projet de société).

(On me murmure que des geeks, pour conclure dignement cette journée, ont grassement trollé[3] des gens de la HADOPI. Je n’ose le croire tellement c’est inconcevable :)

Ce que je retiens d’OVEI

Le concept est validé : une rencontre informelle permet aux différents acteurs de se rencontrer sans pression et de s’apprivoiser. La forme est à ajuster légèrement pour inciter et renforcer les échanges : le cloisonnement est un réflexe fort, probablement en raison de centres d’intérêts trop différents au premier abord.

BBQ OVEI

Les politiques sont arrivés avec des exemples très précis de problèmes qui les touchent directement, principalement liés à leur image et activité publique. Les geeks sont arrivés les mains dans les poches et la bouche en cœur, appâtés par la promesse d’un BBQ arrosé gratuit.

Je m’attendais à plus de questions techniques sur le fonctionnement du net et les implications de faisabilités des technologies, mais en fait les discussions ont portées sur des principes de société et de comment il était possible de les imposer sur internet. Cela a fait tiquer les geeks présents qui étaient de culture principalement libertaire.

Les politiques ont une approche très nationale du net, centrée sur sa partie web, et posent comme prémisse que les problèmes qu’ils souhaitent traiter se font au travers de la législation française. Faire remarquer que les acteurs (entreprises ou personnes) qu’ils veulent cibler peuvent se trouver entièrement à l’étranger[4] (ou même nul part) leur fait grincer les dents car cela les confronte à leur incapacité d’intervention. D’où quelques réactions irritées à base de « on est supposé ne rien faire alors ? »; si j’avais la solution je leur donnerais avec plaisir, mais je ne l’ai pas. Il va falloir qu’ils intègrent le fait qu’on ne peut pas légiférer pour internet comme pour le territoire français, car la police n’a pas les mêmes capacités d’intervention pour y faire appliquer la loi[5].

Si les politiques ont compris qu’internet est de nature décentralisée et maillée, ils ne l’ont pas nécessairement intégré : le réflexe du Minitel 2.0 n’est jamais très loin.

Le pâté de Chartres, c’est délicieux ! Mais faire un BBQ sur un hippodrome sans viande de cheval c’est un peu de la tromperie sur la marchandise :)

Les politiques peuvent se montrer très chatouilleux face au troll gentil, là où le geek ne voit qu’une occasion de tester des éléments d’argumentation. Ah, la différence de culture… Il est possible que cela soit lié à la pratique régulière par le geek de l’autodérision et de la critique franche pour éviter les ambiguïtés; on peut également songer à l’importance que peuvent attacher les politiques à leurs image publique, là où les geeks seront davantage chatouilleux sur la remise en question de leurs compétences.

Les geeks aiment afficher leurs convictions et étaient facilement identifiables sur leurs natures et leurs activités… à conditions de savoir interpréter leurs déclaration d’appartenance; exemples :

  • pin’s π et parle de .42 : membre de la Quadrature du net et participe au projet 42Registry;
  • sticker Parti Pirate et t-shirt cypherpunk : travail contre HADOPI et fait la promotion des pratiques cryptographiques.

Les politiques sont difficiles à décrypter au premier regard pour les geeks : qui appartient à quoi, et s’occupe de quels problématiques. En effet, ils ne portent pas de t-shirts à message ;) Un badge serait alors le bienvenu.

Je suis conforté dans mon idée de monter une micro-entreprise pour faire du négoce de bitcoin en France et en présentiel. Juste pour le lulz vis à vis de la législation, et voir ce que veut dire de matérialiser des transactions monétaires structurellement immatérielles.

J’ai énormément apprécié que l’on arrive enfin à rapprocher les politiques des geeks; cela aurait été impossible y a encore 5 ans, comme quoi les choses s’améliorent quand on se donne du mal. Vouloir légiférer sur internet sans écouter les informaticiens est une aberration, surtout quand ce sont eux au final qui le font fonctionner et non pas le législateur.

Compléments

Notes

[1] Exemple : instance StatusNet ou liste de diffusion à émetteurs restreints

[2] le premier qui dit « on n’a qu’à obliger les FAI à envoyer à leurs clients les droits de réponse ! », je le mord

[3] Pour mémoire, le troll n’est pas nécessairement méchant : il peut aussi être affectueux. Sauf quand il s’agit de VIM et d’EMACS, car tout le monde sait que VIM est clairement supérieur ;P

[4] Par exemple, un éditeur canadien de contenus lus par des francophones, et qui aurait ses infrastructure en Chine pour des raisons de coût. Des politiques insistaient pour revendiquer que le droit français doit pouvoir être appliqué (par exemple, pour le droit de réponse). Personnellement, je ne vois pas de possibilités techniques et juridiques de le faire. Le législateur doit intégrer les contraintes externes imposées par les environnements numériques.

[5] Et une loi non appliquée on sait ce que ça donne…