OVEI ?
J’ai été invité à participer à la première édition d’OVEI, organisée par Bruno Spiquel (expert technique à la HADOPI et entrepreneur) et Laure de La Raudière (députée). L’objectif d’OVEI est de permettre la rencontre informelle entre des élus, hauts responsables d’administrations, et experts techniques de la vie civile. Étaient présentes 59 personnes autour d’un barbecue fédérateur.
J’emploi ici les termes « geeks » et « politiques » pour coller à la terminologie choisie par OVEI. Il serait plus correct de parler d’élus, d’administrateurs, de développeurs, de magistrats, de sysadmins, de chercheurs, etc. Mais faisons simple.
Je suis donc parti de Lyon de bon matin, accompagné de Romain Rivière venant de Genève, pour passer le weekend à Rambouillet. Hasard des choses, nous avons ramassé dans le TER deux « geeks » (en opposition à « politiques » pour cette journée de rencontre) et fini le trajet dans le tank étiqueté de Spyou.
OVEI, en pratique
Lancement de la journée par trois interventions sur :
- l’évolution des moyens de partage des savoirs au travers de l’histoire, et les révolutions de société que cela à engendré;
- internet et sa résilience face aux pannes et à la division, avec en perspective de l’autonomie;
- le droit de réponse, puis le droit au secret dans les affaires publiques.
Discussion sur les questions de droit au secret dans les affaires publiques.
Discussion à propos du droit de réponse sur internet :
- problème de la législation française dans un internet structurellement transnational
- pertinence de la législation actuelle :
- internet autorise la publication personnelle sans restriction ni filtrage, contrairement aux médias unidirectionnels tels que la presse papier et la télévision où la publication est liée à l’acceptation par un directeur des contenus éditoriaux
- la publication peut être réalisée via des outils décentralisés ou qui ne permettent techniquement pas d’y associer une publication tierce[1]; comment alors gérer un droit de réponse obligatoire ?
- introduction de la notion de « même médium » pour appliquer le droit de réponse : publication sur un « espace de communication » → réponse au même endroit. Problème de la définition d’ « endroit » (mashup de données externes) et de mise en pratique.
Ma réflexion actuelle est que le droit de réponse, défini initialement par la loi de 1881, n’est pas adapté à internet qui a une approche multidirectionnelle sans barrières. Là où la loi originale permettait à une personne de bénéficier d’une garanti de prise de parole « juste » quand elle était nominalement concernée, internet met sur un pied d’égalité chacun en lui permettant de s’exprimer; cet aspect du droit de réponse perd alors son sens.
En revanche, internet introduit possiblement une différence sur l’exposition : certaines publications ont plus de visibilité que d’autres; comment alors garantir à un droit de réponse une diffusion semblable à la publication originale, sachant qu’on ne peut pas obliger les gens à consulter une ressource[2]. Tiens, d’ailleurs si l’auteur était anonyme ou que la publication avait lieu hors de la juridiction française, on ferait quoi ?
Discussion sur le grand banditisme sur internet :
- montée en puissance de l’argent liquide numérique anonyme (bitcoin, carte VISA prépayée)
- problème de l’insuffisance des compétences chez les enquêteurs et les juges face à l’évolution des technologies et des pratiques.
- partage d’anecdotes sur la rencontre informaticien + numérique + police.
Discussion sur le TLD rebelle et autogéré .42 : intérêts, approches techniques et sociales, conséquences. Pourquoi le faire au juste ? Parce qu’internet permet cette liberté, et en protestation à la politique de gestion de l’ICANN.
Discussion sur la nature et l’approche politique du Parti Pirate. Comparaison avec les Verts à leurs débuts (d’abord en opposition en Allemagne sur les missiles nucléaires, puis conception d’un projet de société).
(On me murmure que des geeks, pour conclure dignement cette journée, ont grassement trollé[3] des gens de la HADOPI. Je n’ose le croire tellement c’est inconcevable :)
Ce que je retiens d’OVEI
Le concept est validé : une rencontre informelle permet aux différents acteurs de se rencontrer sans pression et de s’apprivoiser. La forme est à ajuster légèrement pour inciter et renforcer les échanges : le cloisonnement est un réflexe fort, probablement en raison de centres d’intérêts trop différents au premier abord.
Les politiques sont arrivés avec des exemples très précis de problèmes qui les touchent directement, principalement liés à leur image et activité publique. Les geeks sont arrivés les mains dans les poches et la bouche en cœur, appâtés par la promesse d’un BBQ arrosé gratuit.
Je m’attendais à plus de questions techniques sur le fonctionnement du net et les implications de faisabilités des technologies, mais en fait les discussions ont portées sur des principes de société et de comment il était possible de les imposer sur internet. Cela a fait tiquer les geeks présents qui étaient de culture principalement libertaire.
Les politiques ont une approche très nationale du net, centrée sur sa partie web, et posent comme prémisse que les problèmes qu’ils souhaitent traiter se font au travers de la législation française. Faire remarquer que les acteurs (entreprises ou personnes) qu’ils veulent cibler peuvent se trouver entièrement à l’étranger[4] (ou même nul part) leur fait grincer les dents car cela les confronte à leur incapacité d’intervention. D’où quelques réactions irritées à base de « on est supposé ne rien faire alors ? »; si j’avais la solution je leur donnerais avec plaisir, mais je ne l’ai pas. Il va falloir qu’ils intègrent le fait qu’on ne peut pas légiférer pour internet comme pour le territoire français, car la police n’a pas les mêmes capacités d’intervention pour y faire appliquer la loi[5].
Si les politiques ont compris qu’internet est de nature décentralisée et maillée, ils ne l’ont pas nécessairement intégré : le réflexe du Minitel 2.0 n’est jamais très loin.
Le pâté de Chartres, c’est délicieux ! Mais faire un BBQ sur un hippodrome sans viande de cheval c’est un peu de la tromperie sur la marchandise :)
Les politiques peuvent se montrer très chatouilleux face au troll gentil, là où le geek ne voit qu’une occasion de tester des éléments d’argumentation. Ah, la différence de culture… Il est possible que cela soit lié à la pratique régulière par le geek de l’autodérision et de la critique franche pour éviter les ambiguïtés; on peut également songer à l’importance que peuvent attacher les politiques à leurs image publique, là où les geeks seront davantage chatouilleux sur la remise en question de leurs compétences.
Les geeks aiment afficher leurs convictions et étaient facilement identifiables sur leurs natures et leurs activités… à conditions de savoir interpréter leurs déclaration d’appartenance; exemples :
- pin’s π et parle de .42 : membre de la Quadrature du net et participe au projet 42Registry;
- sticker Parti Pirate et t-shirt cypherpunk : travail contre HADOPI et fait la promotion des pratiques cryptographiques.
Les politiques sont difficiles à décrypter au premier regard pour les geeks : qui appartient à quoi, et s’occupe de quels problématiques. En effet, ils ne portent pas de t-shirts à message ;) Un badge serait alors le bienvenu.
Je suis conforté dans mon idée de monter une micro-entreprise pour faire du négoce de bitcoin en France et en présentiel. Juste pour le lulz vis à vis de la législation, et voir ce que veut dire de matérialiser des transactions monétaires structurellement immatérielles.
J’ai énormément apprécié que l’on arrive enfin à rapprocher les politiques des geeks; cela aurait été impossible y a encore 5 ans, comme quoi les choses s’améliorent quand on se donne du mal. Vouloir légiférer sur internet sans écouter les informaticiens est une aberration, surtout quand ce sont eux au final qui le font fonctionner et non pas le législateur.
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