Qu’est-ce qui s’est passé ?
Ce 30 septembre 2011 s’est produit un événement rare, d’une ampleur catastrophique pour le monde entier. Et personne ne l’a su, en dehors d’informaticiens spécialisés (administrateurs systèmes, gestionnaires de distribution de logiciels, etc.) et compétents[1].
La législation sur la propriété intellectuelle a failli déstructurer non seulement internet, mais aussi la quasi totalité des ordinateurs du monde entier. Je n’ai pas l’habitude des exagérations inutiles, donc moi-même je me surprend à écrire des choses pareilles. Et pourtant, c’est vrai.
La société américaine Astrolabe qui publie des ouvrages d'astrologie et des atlas a abusé utilisé le droit américain sur la propriété intellectuelle pour mettre hors-ligne et faire cesser l’activité autour de la tz database. Cela ne vous parle absolument pas, et c’est normal : il s’agit d’une partie de l’informatique très précise qui ne concerne pas directement les utilisateurs finaux.
La tz database ?
La tz database est un ensemble d'informations techniques sur les fuseaux horaires dans le monde. Ces informations sont utilisées partout en informatique :
- Chaque fois que vous indiquez la ville où vous vous trouvez, par exemple,
Europe/Paris
, vous utilisez la tz database.
- Chaque fois qu'un de vos appareils se met à l'heure automatiquement, par exemple votre magnétoscope, vous utilisez la tz database.
- Chaque fois que vous consultez un site web votre ordinateur et celui en face se réfèrent à la tz database.
- Chaque fois que vous notez un rendez-vous dans votre agenda électronique, vous utilisez la tz database.
- Chaque fois que vous dépendez d'un appareil médical qui permet de vous maintenir en vie, vous pouvez être sur qu'il utilise la tz database.
- Chaque fois que vous téléphonez, vous utilisez la tz database.
- Chaque fois que vous prenez l'avion, vous utilisez la tz database.
- Chaque fois que vous allumez la lumière dans une pièce, vous pouvez être sur que c'est grâce à des ordinateurs qui utilisent la tz database.
La tz database a été mise en place par Arthur Olson en 1986, pour permettre de disposer en un seul d'endroit des informations nécessaires pour gérer la data et l'heure sur les dispositifs informatiques. Avoir une seule source d'information permit à l'époque de factoriser de nombreux efforts éparpillés et de résoudre les problèmes de synchronisation. Ce projet s'est révélé être tellement pratique qu'il a été ensuite utilisé par l'ensemble des équipements qui utilisent de l'informatique; et qui donc s'appuient sur la notion de temps. De nos jours, on retrouve l'utilisation de la tz database dans la quasi totalité des équipements informatiques.
La tz database est gérée dans la grande tradition du libre : ouverture et transparence totale. N'importe qui peut rejoindre le projet, discuter de la structuration des données, participer au travail de collecte et de vérification des informations, réfléchir sur l'évolution de la gestion du temps (année bissextile, ajout et retrait de seconde pour compenser la rotation de la Terre, etc). Il est donc aisé pour n'importe quelle personne de contrôler la qualité du travail accompli et de le réutiliser.
Par une de ces bizarreries dont l'histoire a le secret, la tz database est hébergée par le NIH, ce qui convient très bien. De plus, elle est libre de toute contrainte politique et ne dépend d'aucun organisme. Ce qui correspond parfaitement aux besoins [2].
La bonne gestion de la tz database est importante car chaque année plusieurs dizaines de modifications y sont apportées : des pays sont créés et supprimés, des décisions politiques sont mises en œuvre pour limiter la consommation d'énergie (horaire été/hiver), des zones géographiques sont réaménagées, des tremblements de terre affectent la rotation de la planète, etc.
Conséquences de l'attaque juridique sur la tz database
La tz database est alimentée par des informations publiques : des lois sont votées, des arrêtés sont pris, des calculs scientifiques sont publiés… Son contenu n'est donc pas soumis à de quelconques règles d'exclusivité. En fait, c'est même l'inverse : ces informations doivent absolument être diffusées. Et au niveau international, la question politique du temps est plutôt bien gérée. Bref, rien à signaler.
Tout le monde (ou presque) dépend des informations de cette base de données. L'armée, la police, les secours aux personnes, la médecine, les transports, les entreprises, les particuliers… il n'y a aucun domaine couvert par l'informatique qui ne soit pas concerné. Et donc, la législation sur la propriété intellectuelle a failli supprimer et bloquer tout usage ultérieur de ces informations. Vous réalisez maintenant ce qui a affolé les informaticiens ?
Supprimer cette base de données équivaut à supprimer le kilo-étalon du Bureau international des poids et mesures et à interdire l'usage de sa dimension. Il n'y aurait alors plus de référence pour calibrer les machines-outils, et les conséquences seraient aussi dramatiques qu'immédiates dans tous les secteurs. Il se passe actuellement une chose similaire au niveau du temps : sa référence (ou plus précisément la grille qui permet de l'interpréter) est supprimée.
Naturellement, les informaticiens ont mis en place des procédures temporaires pour préserver le temps[3] et réfléchissent à une réorganisation de la gestion du projet pour que cela ne soit pas reproductible. Mais le problème initial demeure, à savoir que de plus en plus des actes juridiques aberrants attentent non seulement aux libertés fondamentales, mais mettent aussi en danger notre vie quotidienne.
Que des avocats agissant au nom d'une société aient pu mettre à genoux le temps, simplement en ayant une mauvaise connaissance du sujet qu'ils traitent et en abusant d'une législation créé pour protéger la rente culturelle des grands groupes internationaux, est inacceptable.
Solution(s)
Une solution serait de faire avancer les réformes sur le droit d'auteur, la protection des œuvres, et de poursuivre la législation sur les droits et devoir des hébergeurs internet afin que cette situation ne puisse pas se reproduire. C'est le but des lois DADVSI, HADOPI et LCEN. Malheureusement cette approche est vouée à l'échec, de part la nature de la technique du numérique et de celle du travail législatif. Il va vraiment falloir que le législateur accepte le fait qu'il ne peut pas simplement « réguler internet ».
Plus prosaïquement, une solution pratique serait de supprimer la propriété intellectuelle sur les œuvres de l'esprit, les logiciels, et les brevets. Pan. Ah oui, c'est vrai : cela ne plairait pas à Vivendi Universal. Donc à la place on préfère conserver une loi qui permet de casser tous les appareils informatiques avec une simple lettre de 5 pages envoyée de l'autre côté de l'océan par une personne sur laquelle on n'a aucun contrôle.
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