En lien avec mon positionnement sur la vie privée, je prend aussi position sur la nature et le statut de l'adresse IP.
Rappel sur l'IP
Une adresse IP est une série de chiffres et de lettres qui permet de contacter un dispositif informatique au travers d'un réseau, via une méthode de communication spécifique (protocole IP). Ainsi, tous les ordinateurs connectés à internet ne sont pas obligatoirement désignés par une adresse IP; ils le sont en revanche dans l'immense majorité des cas, mais pas de façon unique : un ordinateur a souvent plusieurs adresses IP qui permettent de le joindre et ces adresses peuvent changer [1].
Ce que (ne) dit (pas) la loi
Juridiquement, le statut de l'adresse IP est incertain : tantôt un juge la traite d'un manière, tantôt un autre la classe différemment. D'où un flou qui n'arrange personne en cas de dépôt de plainte [2].
Ainsi, pour la justice l'adresse IP est actuellement :
- soit une donnée purement technique qui ne porte pas de valeur particulière et sert uniquement à l'interconnexion des équipements;
- soit une information nominative qui permet d'identifier une personne derrière un ordinateur;
- soit quelque chose entre les deux, une sorte de données technique qui peut devenir une fiche d'identité au travers d'un traitement adapté et en liaison avec d'autres données.
En résumé : il y a donc une grande incertitude sur le statut de l'adresse IP en France, ce qui ouvre la porte à toutes sortes de problèmes, mais aussi à des possibilités d'utilisation.
Networking 101
La question de savoir si l'adresse IP permet d'identifier (ou non !) la ou les personnes qui ont utilisé un ordinateur ordinateur est critique, car elle permet le traitement judiciaire : seule l'autorité légitime pour poursuivre l'enquête (police ou gendarmerie) pour obtenir du fournisseur d’accès l'identité de l'utilisateur
En effet, l'adresse IP est une série de chiffres et de lettres qui ne constitue en rien une donnée indirectement nominative relative à la personne dans la mesure où elle ne se rapporte qu'à une machine, et non à l'individu qui utilise l'ordinateur pour se livrer à une activité.
On a donc bien une différence entre l'identification d'une machine, et l'identification d'un humain. La mise en relation n'est pas automatique et doit être prouvée.
Lorsqu'on lis le Décret n°2011-219 du 25 février 2011 « relatif à la conservation et à la communication des données permettant d'identifier toute personne ayant contribué à la création d'un contenu mis en ligne », ce n'est pas plus clair pour autant : si les particuliers, associations et autres n'ont pas le statut juridique de « fournisseur d'accès à internet » (qui est soumis à une autorisation de l'ARCEP), ils n'ont pas non plus nécessairement le statut juridique d' « hébergeur » (les critères sont bordéliques). La loi n'apporte donc pas réponse aux questions posées.
Je comprend la loi comme disant entre les lignes que l'IP n'est pas juridiquement classée comme une donnée d'identification nominative, et n'est donc pas pas soumise à un encadrement spécifique pour les particuliers et associations.
Les logs, en pratique
Dans le cadre des services informatiques sur internet, il est habituel que ceux-ci conservent des enregistrements sur leurs activités et les dispositifs avec lesquels ils interagissent : ce sont les « logs ».
Techniquement, un log est juste une trace numérique que l'on défini comme on veut. Il n'y a donc pas un seul format de log, mais une multitude ayant des natures et contenus différents. Un même service peut conserver des enregistrements des interactions homme-machine et machine-machine sous plusieurs formes plus ou moins explicites. Pour parler de log, il faut donc bien le préciser.
Person Network
Le mot log ne doit pas être tabou de la discussion sur la vie privée en le classant immédiatement comme pratique intrusive; il est indispensable au bon fonctionnement du net, car le log constitue la mémoire de travail des services. Sans log, toute l'informatique navigue à vue.
Dans le cadre d'un log d'apache au format combiné, je comprend que le log est anonyme, vis à vis de la loi, car l'adresse IP n'est pas une donnée qui permet à elle seule d'identifier un individu.
Ce qui me laisse perplexe, c'est la double valeur que des gens prêtent à une adresse IP. Je constate les deux discours suivants :
- Dans les transferts par BitTorrent, on ne peut pas identifier l'utilisateur car une IP n'est pas une personne, c'est une simple information technique pour faire circuler les données; elle peut être falsifiée, détournée, contrefaite…
- Dans les logs de services web (ou autres tels que le courriel), on peut identifier l'utilisateur par son adresse IP, car c'est une information nominative.
D'où ma remarque : il faut être cohérent et se poser les questions suivantes :
- supposément, qu'est-ce qui oblige à anonymer les logs d'un serveur web ?
- supposément, qu'est-ce qui interdit de publier les logs, anonymés ou non, d'un serveur web ?
- un particulier ou une association mettant en ligne un site web non-participatif (c'est à dire que les visiteurs ne peuvent pas contribuer à son contenu) sont-ils des « hébergeurs » au sens de la loi ?
- quels sont les critères qui permettent de qualifier une donnée comme étant nominative ou qui permette de réaliser l'identification d'une personne ?
Réflexion dans le cadre du Parti Ꝓirate
Le Parti Ꝓirate (PꝒ) a pris position sur le fait que l'adresse IP n'est pas une donnée nominative qui permet d'identifier la personne qui télécharge via BitTorrent. Il me semble donc logique de conclure que l'adresse IP n'est pas, pour le Parti Ꝓirate, une donnée nominative qui permet d'identifier une personne se connectant à un service web.
Le fait est que, pour qu'il y ait publication, il faut auparavant qu'il y ait collecte.
Prenons le cas du PꝒ qui, très probablement (on va dire que oui si ce n'est pas le cas) conserve un log des transactions sur son serveur web.
Est-ce que je peux demander au PꝒ de consulter et supprimer de ce log toutes les informations personnelles qui me concerne ? Bien sur, c'est ce que la loi liberté et informatique de 1978 me garanti. En revanche, le PꝒ va très certainement me répondre « on veut bien, mais on ne peut pas : on n'a pas de données personnelles sur toi ».
Qu'à cela ne tienne, je demande alors au PꝒ de me dire tout ce qui concerne l'adresse IP de mon ordinateur (par exemple, 82.239.197.205
). Et là, le PꝒ me répond « heu, qu'est-ce qui me prouve que c'est bien toi derrière cet ordinateur, et pas quelqu'un d'autre ? Et même si c'est le cas, vous n'êtes pas plusieurs dans ton foyer à utiliser cet ordinateur ? ». Godferdom ! Est-ce que le PꝒ refuserait de se plier à la loi ? Non, il ne fait que l'appliquer strictement, car la loi ne l'oblige pas de communiquer tout ou une parti des log de son serveur web.
Si la collecte d'adresse IP est obligatoire à différents niveaux pour plusieurs raisons, la publication de log anonyme de serveur web est donc bien un choix que l'on peut faire, ou pas.
Conclusion
À mon sens, cette mise à disposition d'informations est neutre sur l'usage : un individu peut s'en servir pour faire de la recherche scientifique (ce qui est légal), pour assurer de façon neutre le bon fonctionnement des systèmes informatique (c'est souhaitable), mais pas pour espionner une personne (c'est illégal). Le PꝒ n'endosse pas ici le rôle du législateur qui fait la loi, du juge qui l'arbitre, ou du policier qui la fait appliquer. Il se borne à faire ce qu'il veut, dans le cadre de cette loi.
De la même façon qu'on n'interdit pas la vente des couteaux en supermarché sous prétexte que quelqu'un pourrait faire quelque chose de mal avec, il ne faut pas, à mon sens, interdire a priori le partage des données sous prétexte que cela peut être dangereux.
T3 - L'anonymat
L'argument le plus courant pour refuser le partage des logs d'un serveur web est le droit à l'anonymat. L'adresse IP pouvant être utilisée (au même titre qu'un numéro de téléphone, une plaque d'immatriculation, etc) pour réaliser l'identification une personne, il faut alors la protéger. Je ne suis pas entièrement de cet avis.
S'il était vrai il y a encore dix ans qu'une adresse IP permettait de faire le lien entre une personne et un ordinateur d'une façon très fiable, ce n'est plus le cas de nos jours. Les pratiques (roaming, réseaux ouverts…) et technologies (NAT, IPv6, VPN) ont évoluées suffisamment pour aboutir à un découplage toujours croissant entre l'adresse IP (qui pointe vers un dispositif technique) et une personne se trouvant en bout de la chaîne de communication.
Il me semble dangereux de statuer sur la valeur nominative de l'adresse IP : cela entraîne des fausses identifications et donc des accusations portées à tord, et bride l'innovation en contraignant fortement la collecte et le travail sur des données. L'objectif final étant ici de forcer l'anonymat sur internet, je ne pense pas que ça soit la bonne méthode.
De plus, l'anonymat doit être un choix, garanti par la loi, et non une obligation. Prendre position en faveur d'un anonymat forcé, c'est pour moi vouloir maintenir une conception citadine de la vie privée datant des années 80. Les populations ont changées, les outils et les pratiques aussi, il ne faut donc pas imposer une stagnation législative qui empêche l'accompagnement de la vie.
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